Harut Sassounian. La Cour conclut à la culpabilité de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan Bakou dissimule son procès perdu et crie victoire


Harut Sassounian. La Cour conclut à la culpabilité de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan Bakou dissimule son procès perdu et crie victoire

  • 18-07-2015 13:50:27   | USA  |  Articles et analyses
 
Statuant de manière simultanée dans les procès Sarkissian contre Azerbaïdjan et Chiragov contre Arménie, la Cour Européenne des Droits de l'Homme a décidé le 16 juin 2015 que l'Arménie et l'Azerbaïdjan avaient violé les droits des réfugiés qui avaient fui durant le conflit du Karabagh (Artsakh).
 
Cependant, des officiels du gouvernement azéri ont induit en erreur leurs citoyens en déclarant que l'Azerbaïdjan avait gagné et que l'Arménie avait perdu. 
 
Voici les détails des deux procès : le 6 avril 2005, six Kurdes azerbaïdjanais ont déposé devant la Cour européenne une plainte conjointe contre l'Arménie. Ils ont déclaré avoir été obligés de fuir leurs maisons durant le conflit arméno-azéri en 1992, après que les forces arméniennes ont envahi la région de Latchine qui séparait l'Arménie de l'Artsakh. 
 
Les réfugiés azerbaïdjanais estimaient que - selon la Convention européenne des Droits de l'Homme - l'Arménie avait violé leurs droits : 1) protection des biens, 2) droit au respect de la vie privée et familiale, et 3) droit à un recours effectif. 
 
Le 11 août 2006, Minas Sarkissian a introduit devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme une plainte similaire contre Bakou. Il a accusé l'Azerbaïdjan d'avoir violé ses droits, les mêmes que ceux revendiqués par les six réfugiés azerbaïdjanais, puisque lui aussi a été contraint de fuir en 1992 de son village natal de Gulistan dans la région de Chahoumian, contrôlée par l'Azerbaïdjan. 
 
Les deux parties ont demandé que leurs droits de propriété soient rétablis et ont exigé une compensation équitable. 
 
En mars 2010, après des années d'inactivité, la Cour a transféré les deux procès à la Grande Chambre de la Cour Européenne des Droits de l'Homme représentée par 17 juges d'Andorre, d'Arménie, d'Azerbaïdjan, de Croatie, de Chypre, d'Islande, d'Italie, de Lettonie, du Liechtenstein, de Lituanie, du Luxembourg, de Monaco, du Portugal, de Roumanie, de Slovénie, d'Espagne, et d'Ukraine. Les décisions de la Grande Chambre sont définitives et ne peuvent être sujettes à un appel. 
 
Une décennie après que ces plaintes ont été déposées pour la première fois, la Grande Cour a rendu deux jugements identiques le 16 juin 2015, estimant que tant l'Arménie que l'Azerbaïdjan avaient violé les droits des réfugiés de l'autre partie. Dans un long document de 221 pages, incluant les deux verdicts ainsi que les opinions dissidentes et concordantes, la Cour a jugé que les négociations de paix s'étalant sur 20 ans n'ont pas exonéré les deux gouvernements de leur responsabilité à protéger les droits des centaines de milliers de réfugiés. La Grande Chambre a noté qu'il y a plus de 1000 requêtes en instance devant la Cour, déposées par les Arméniens et les Azerbaïdjanais déplacés pendant le conflit de l'Artsakh. 
 
Les six requérants azerbaïdjanais ont affirmé qu'ils avaient subi 9 millions de dollars de dommages financiers et 330 000 dollars de dommages et intérêts non financiers. Ils ont en outre estimé que leurs frais juridiques se situaient autour de 65 000 dollars à la date d'octobre 2013. Les représentants des requérants azerbaïdjanais ont demandé qu'un expert soit nommé pour évaluer les dommages totaux que leurs clients ont subis. 
 
De l'autre côté, le requérant arménien Minas Sarkissian avait demandé la restitution de ses biens, y compris le droit de retour à son domicile. Il a annoncé 415 000 dollars de dommages et intérêts financiers et 210 000 dollars de dommages et intérêts non financiers, en plus de frais juridiques non-spécifiés. 
 
Reconnaissant "le caractère exceptionnel" des deux affaires, la Cour n'a pas rendu de décision finale concernant l'attribution de compensation ou de “satisfaction équitable”. La Grande Chambre a demandé aux gouvernements arménien et azerbaïdjanais et aux demandeurs respectifs de soumettre dans les 12 mois leurs "observations écrites sur la question", et "d'informer la Cour de tout accord auquel ils pourraient aboutir". 
 
À mon avis, les décisions parallèles de la Cour européenne visaient à faire pression sur les deux gouvernements pour accélérer un règlement négocié qui permettrait de résoudre toutes les questions en suspens, incluant les droits de réfugiés. 
 
Les deux opinions écrites par le juge portugais Paulo Pinto de Albuquerque - de 25 pages chacune et annexées aux verdicts de la cour - figurent parmi les résultats les plus importants et pourtant les plus inattendus de ces procès. Le juge y présente un dossier juridique solide pour l'indépendance de l'Artsakh : "Chaque fois qu'une partie de la population d'un État n'est pas représentée par son gouvernement et que les droits de l'homme de cette population sont systématiquement violés par son propre gouvernement, la population victime peut avoir recours 'en dernier choix, à la révolte contre la tyrannie et l'oppression', pour utiliser la formulation pleine de puissance du préambule de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme". 
 
Le juge a également écrit que lorsqu'un État bafoue systématiquement les droits de l'homme d'une population sécessionniste, il est légitime qu'un autre État entreprenne une action militaire en faveur de la population sécessionniste, après que cette dernière a pris le contrôle de son territoire et a acté sa séparation. 
 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
 
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