Turquie: ce partenaire obligé fait-il un bon allié?


Turquie: ce partenaire obligé fait-il un bon allié?

  • 20-10-2015 15:25:31   | Turquie  |  Politique

En abritant sur son sol plus de 2 millions de réfugiés syriens, Ankara entend bien obtenir des Européens des compensations significatives, qui relèvent de tout autres considérations.

Le génie de la Turquie est de savoir toujours tirer profit des situations dramatiques et de placer l'Europe face à un marchandage lorsque l'heure est grave. C'est ainsi que, depuis Soliman le Magnifique, ce pays charnière entre l'Occident et l'Orient monnaye son soutien ou sa neutralité, au gré des circonstances, en voyant dans chaque conflit où il peut jouer un rôle l'occasion de réaliser les meilleurs bénéfices.  

La Turquie, adepte de la ruse recommandée par les préceptes politiques de l'islam, est coutumière de cette habileté depuis des siècles et sa diplomatie, héritée de la science des rapports de forces cultivée par la Sublime Porte, est tout entière dévolue à cette tâche. 

En l'occurrence, en abritant sur son sol plus de 2 millions de réfugiés syriens, Ankara entend bien obtenir des Européens des compensations significatives, qui dépassent largement le sort des innombrables malheureux qui fuient la guerre et qui relèvent de tout autres considérations. Lors du Conseil européen du 15 octobre, confrontés à une situation d'extrême urgence, ce sont 28 chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE qui ont dû plier devant leur partenaire turc.  

Les Turcs presque offensés par l'aumône euriopéenne

De toute évidence, la crise des migrants est ingérable sans une collaboration très étroite instaurée entre l'UE et la Turquie. Une réalité que nul ne peut contester et que Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a clairement résumée: "L'Union européenne et la Turquie doivent marcher ensemble", d'autant plus que le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union, en Italie, et surtout en Grèce, a montré son inefficacité totale. Mais, à partir de ce constat consensuel, l'agenda turc incorpore de tout autres exigences, qui méritent attention. 

L'essentiel pour eux étant d'apparaître unis, les Vingt-Huit ont consenti à tripler l'aide financière européenne accordée à la Turquie pour l'aider à contenir l'afflux des populations déracinées depuis 2011: elle passera de 1 à 3 milliards. L'Allemagne, qui accueille 1 million de migrants, a pesé de tout son poids dans cette largesse forcée, comme l'a montré l'implication personnelle d'Angela Merkel, qui s'est rendue sans tarder à Ankara.  

Car, à travers ce plan d'action, loin d'être un accord, ce sont des désaccords que les Turcs mettent immédiatement en avant. Premièrement, ils s'estiment presque offensés par cette aumône, puisqu'ils fixent à près de 7 milliards le coût total de la prise en charge des réfugiés. Deuxièmement, un tiers de cette somme proviendrait du budget de l'UE, mais le reste devra être versé par les Etats membres, ce qui ne manquera pas de faire débat. 

Nouvelles exigences

Par-dessus tout, le gouvernement turc produit de nouvelles exigences, qui n'ont rien à voir avec la situation migratoire. L'occasion est trop belle: Recep Tayyip Erdogan, engagé dans une bataille électorale sous haute tension, essaie d'arracher le maximum de concessions tant que l'Europe est en situation de demande, ce qui prend l'allure d'un catalogue de bazar. D'une part, les dirigeants turcs demandent que leur nation soit inscrite sur la liste européenne des "pays d'origine sûrs", dont les ressortissants peuvent être immédiatement renvoyés chez eux (ce qui viserait les opposants kurdes exilés en Europe).  

D'autre part, ils veulent des facilités accrues dans l'obtention de visas pour leurs propres ressortissants, ce qui a donné lieu à un coup de frein de François Hollande. De surcroît, ils en profitent pour remettre sur le tapis la reprise des négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Enfin, ils réclament l'instauration d'une zone de sécurité dans le nord de la Syrie, le long de la frontière avec la Turquie, cheval de Troie d'Erdogan qui lui permettrait de lutter contre les Kurdes et d'écraser leur volonté d'autonomie, alors même que ces derniers représentent les alliés les plus sûrs des Occidentaux contre Daech. Un florilège qui s'oppose à une réalité tragiquement simple, mais que les Européens ne renvoient pas à Erdogan avec suffisamment de fermeté: 30000 passeurs officient et prospèrent actuellement en Turquie.

 

Source : L’EXPRESS

 

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