Toros : « C’est par l’existence du Haut-Karabagh que l’Arménie demeure »


Toros : « C’est par l’existence du Haut-Karabagh que l’Arménie demeure »

  • 23-10-2015 13:20:39   | Arménie  |  

À Erevan, en descendant la rue Sayat-Nova et en arrivant près de son intersection avec la rue Khandjian, le regard (très) observateur détectera sur le fonds du complexe Sayat-Nova la statue de bronze du célèbre poète et troubadour (« achough ») arménien du Haut-Moyen Âge, don à la ville de la part du sculpteur romanais d’origine arménienne Toros.
 

Toros Rast-Klan (Toros Rasguélénian de son vrai nom) est né à Alep (Syrie) et ne s’est installé en France que dans les années 60 pour y étudier l’art. Les peintres et sculpteurs qu’il y rencontrera lui conseilleront de ne pas faire les Beaux-Arts. Conseil que Toros suivra, en restant ainsi autodidacte, ce qui ne l’empêchera pourtant pas de se voir triplement honoré pour son œuvre par l’État français étant élevé aux rangs d’Officier des Arts et des Lettres, de Chevalier de la Légion d’Honneur et des Palmes académiques. Aujourd’hui, ses sculptures sont représentées dans plusieurs villes en France, en Arménie, en Syrie, aux États-Unis, etc.

Nous avons rencontré Toros et Marie, sa femme qui accompagne et soutient l’artiste dans toutes ses entreprises depuis déjà 35 ans, à Stépanakert, dans le cadre des Journées françaises en Artsakh organisées du 17 au 19 septembre dernier, « trêve » que le sculpteur s’était exceptionnellement offerte pour accompagner en personne dans la capitale karabaghiote son œuvre « L’Infini », un autre don à son peuple d’origine. Comme il arrive souvent entre Arméniens, la plus grande quantité possible de thèmes a été abordée durant les quelques minutes de notre entretien avec les époux. « Le Courrier d’Erevan » a constitué une mosaïque à partir de cet échange:

Toros : « Le langage de l’art est compréhensible à tous les peuples tandis qu’avec l’arme, on ne peut parler qu’à l’ennemi »
- Mon oncle [dont le sculpteur porte le nom] a été brûlé par les Turcs dans une église, au moment du Génocide. C’était à Urfa (l’actuelle ville de Şanlıurfa en Turquie) dont je suis originaire moi aussi. Et c’est dans notre maison que la Résistance d’Urfa a pris naissance. Adolescent, j’aimais à bricoler des soi-disant « armes » pour jouer avec. Plus tard, j’ai pris conscience que nous devons renoncer à l’arme et nous défendre par l’art car le langage de l’art est compréhensible à tous les peuples tandis qu’avec l’arme, on ne peut parler qu’à l’ennemi.
Toros : « Lorsque j’ai tâté le ventre du cheval de Sassountsi Davit, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire »
- Je suis venu [pour la première fois] en Arménie en 1962. Lorsque je suis monté sur le piédestal de la statue de Sassountsi Davit et tâté le ventre de son cheval, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire : je n’avais pas pensé que j’allais devenir sculpteur. Revenu à Alep où on détenait un magasin de lits qu’on fabriquait nous-mêmes, je me suis mis à faire des bustes qui étaient très vite réussis : je sais observer, c’est pour cela que je vois. Un jour, j’ai décidé de faire une mère qui a beaucoup souffert car ma mère l’était, et tous ceux qui le voyaient me demandaient où j’avais appris cet art. Je ne l’avais pas appris, j’avais simplement senti : mon art est sensitif. Toute œuvre que je crée est porteuse d’un message.
Marie : « Je suis sa création du coup de crayon à l’œuvre finie, de A à Z »
- Je suis sa création du coup de crayon à l’œuvre finie, de A à Z, et m’occupe de tout le reste : galeries, musées, relations avec la presse, car il travaille tous les jours, sans jamais prendre de vacances. Notre séjour au Karabagh est vraiment un cas exceptionnel. Toros dit : « Le temps part, j’ai tellement de choses encore à dire que je ne peux pas quitter l’atelier ». Il a des centaines de dessins et de projets dans sa tête.
Toros : « Nos poumons, ce sont les Arméniens des pays arabes »
- Nos poumons, ce sont les Arméniens des pays arabes. Tout vient de là car les Arabes sont très honnêtes, ils nous ont très bien accueillis, ils sont venus nous chercher dans le désert pour nous amener chez eux. Cela n’a pas été comme aujourd’hui lorsque les peuples heurtent la porte de l’Europe. C’est pour cela que j’ai un grand respect pour le peuple arabe.
Toros : « C’est par l’existence du Haut-Karabagh que l’Arménie demeure »
- Le peuple du Karabagh est un peuple noble. Et il ne faut pas oublier que c’est par l’existence du Haut-Karabagh que l’Arménie demeure. Si un jour, nous perdons le Haut-Karabagh, nous perdrons d’un coup l’Arménie aussi.
La statue que j’ai offerte à l’Artsakh a beaucoup à dire : on en suit du doigt les contours et on revient au point de départ. De même, l’amitié peut ne pas avoir de fin.
Marie : « Je ne crois pas à l’assimilation, même en Europe parce que c’est plus fort que tout d’être Arménien »
- Nous avons deux filles. L’ainée apprend l’arménien et va se marier avec un Arménien de France. La petite est très différente et il me semblait qu’elle ne serait pas proche du milieu arménien mais lorsqu’elle a eu 17 ans, elle a dit qu’elle partait en mission humanitaire en Arménie. Plus encore, elle vient de soutenir sa thèse sur le patrimoine arménien immatériel en France et la nécessité d’un musée arménien du fait du processus d’assimilation qui est en train de se faire maintenant et qui exige la création de musée pour préserver la mémoire.
Notre fille cadette a dit qu’elle sentait qu’elle devait faire quelque chose pour les Arméniens. C’est pourquoi qu’en fin de compte, je ne crois pas à l’assimilation, même en Europe parce que c’est plus fort que tout d’être Arménien.

* Le lendemain du retour de l’Artsakh, une autre statue de Toros, celle de Komitas, été inaugurée dans les locaux du musée-institut Komitas. Il s’agit de la troisième œuvre, un don toujours, du sculpteur dans le pays de ses ancêtres. Difficile de s’abstenir de penser qu’on aurait pu en voir plus dans les villes arméniennes…

 

Source : Le Courrier d’Erevan

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