La Turquie abuse d’Interpol pour faire extrader les opposants au régime. Harut Sassounian


La Turquie abuse d’Interpol pour faire extrader les opposants au régime. Harut Sassounian

  • 29-01-2019 12:46:10   | USA  |  Articles et analyses

La Turquie et d’autres gouvernements répressifs abusent de plus en plus de leur qualité de membre d’Interpol pour harceler et punir leurs opposants. Interpol, ou l’Organisation internationale de police criminelle, composée de 194 pays, se concentre sur les crimes transnationaux. 
 
Bien que la charte d’Interpol interdise de poursuivre des individus pour des raisons politiques, religieuses, militaires ou raciales, plusieurs États membres continuent d’abuser du pouvoir d’Interpol pour poursuivre leurs opposants. 
 
Le cas le plus récent est celui d’Enes Kanter, joueur de basket de la NBA, d’origine turque ; le gouvernement turc a demandé à Interpol de l’arrêter et de l’extrader, après avoir délivré une notice rouge à Interpol. Kanter a refusé de rejoindre son équipe, the New York Knicks, à Londres, pour disputer un match. Il a dit qu’il était accusé à tort par le gouvernement d’Erdogan d’être un ‘terroriste’ et qu’il craignait d’être assassiné par des agents turcs à Londres. 
 
Le 19 mai 2017, Abdullah Bozkurt a écrit dans le site Turkish Minute que Kanter « avait échappé de justesse à une arrestation à Jakarta, en Indonésie, où il se trouvait dans le cadre d’une tournée mondiale. L’armée indonésienne et les services secrets avaient fait une descente dans une école où un événement devait avoir lieu, afin de le placer en détention à la demande de la Turquie, mais il a réussi à quitter l’Indonésie pour la Roumanie. Le 20 mai, lors de son retour aux USA, Kanter a été détenu à l’aéroport international Henri Coandă à Bucarest, car son passeport avait soi-disant été annulé par le gouvernement turc. La star de la NBA a ensuite été relâchée, après que le gouvernement américain et des responsables de la NBA sont intervenus pour lui. Il reste un farouche détracteur d’Erdogan pour ses violations des droits. » 
 
Dans une lettre ouverte parue dans le Washington Post, Kanter a écrit : « Toute personne qui s’exprime contre lui [Erdogan] est une cible. Je suis une cible. Et Erdogan veut que je revienne en Turquie pour me faire taire. » Kanter a déclaré à Newsweek que le président turc Recep Tayyip Erdogan est « le Hitler de notre siècle ». Selon l’ESPN, en novembre dernier, le gouvernement turc a demandé à Interpol de faire arrêter plus de 80 personnes dans d’autres pays et de les extrader en Turquie ! 
 
Plusieurs autres dissidents turcs ont échappé de justesse au bras long du gouvernement turc via Interpol. En octobre dernier, la Turquie a demandé qu’Interpol arrête et extrade Can Dundar, l’ex-éditeur du journal Cumhuriyet, et Ilhan Tanir, éditeur du site Ahval. « Je n’ai tué personne, je ne dirige pas de cartel, je n’ai pas attaqué de banque ou fait quoi que ce soit qui puisse justifier une chasse à l’homme mondiale », a écrit Tanir. « Le gouvernement turc me poursuit pour mes activités de journaliste. » 
 
Ragip Zarakoglu, un journaliste, auteur, éditeur et défenseur des droits de l’homme, a été frappé d’une notice rouge à Interpol pour être arrêté et extradé en Turquie. Il se trouve actuellement en Suède, à l’abri des griffes d’Erdogan. 
 
Un autre journaliste turc a eu moins de chance. Hamza Yalçin, qui avait fui en Suède, a été arrêté à la demande la Turquie à Interpol en 2017, lors d’un séjour en Espagne. Il a été relâché après deux mois de pressions exercées par les gouvernements de la Suède et de l’Allemagne. 
 
« Nous saluons la décision du gouvernement espagnol, qui respecte le droit international », a déclaré Reporters sans Frontières. « La libération de Hamza Yalçin envoie un message clair au gouvernement turc : celui de ne pas utiliser Interpol dans le but politique de poursuivre les journalistes qui ont fui à l’étranger. » 
 
Peu après le coup d’État manqué en 2016, la Turquie a déposé plus de 60 000 notices rouges à Interpol. Les notices rouges sont destinées uniquement aux individus accusés de crimes graves. Les lois fondamentales d’Interpol appellent les pays membres à ne pas utiliser le système à des fins politiques mais à agir dans le respect des droits humains internationaux. La Turquie, la Chine et la Russie et les EAU commettent des violations flagrantes de ces lois, a déclaré le magazine Foreign Policy. 
 
Dans une résolution datant d’avril 2017, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a demandé à Interpol « de continuer à améliorer sa procédure de notice rouge afin de prévenir et de rectifier les abus plus efficacement. » Johann Bihr, responsable de Reporters sans Frontières, bureau de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale, a déclaré : « Des dizaines de journalistes ont fui à l’étranger depuis le coup d’État manqué en Turquie en juillet 2016. Mais, comme d’autres journalistes exilés dans le monde entier, ils sont désormais menacés par la manipulation politique d’Interpol. La réforme initiée par d’Interpol doit maintenant aboutir de toute urgence, afin de mieux se protéger des demandes abusives de la Turquie et des autres États répressifs. 
 
 
De Harut Sassounian 
The California Courier 
  -   Articles et analyses