Harut Sassounian. Cent ans après, la Turquie est toujours hantée par le génocide


Harut Sassounian. Cent ans après, la Turquie est toujours hantée par le génocide

  • 28-04-2014 15:50:50   | USA  |  Articles et analyses

À chaque fois qu’il est fait mention du génocide arménien où que ce soit dans le monde, les responsables turcs protestent de façon hystérique, comme des enfants pris la main dans le sac ! 
 
La mauvaise conscience des dirigeants turcs explique sans doute leur comportement psychotique, bien qu’ils protestent publiquement de leur innocence, tout en sachant pertinemment que leurs ancêtres ont commis l’un des crimes les plus odieux qui soient dans les annales de l’histoire, un génocide ! 
 
La semaine dernière, le monde a été témoin une fois encore d’une autre manifestation d’une crise de colère turque, lorsque la Commission des Affaires étrangères du Sénat [américain], malgré les pressions intenses exercées par le régime d’Ankara et ses entreprises de lobbying largement rétribuées, a adopté la résolution 410 sur le génocide arménien par 12 voix contre 5. C’est la première fois en un quart de siècle que cet organe adopte une telle résolution. 
 
Bien que le gouvernement turc soit plongé dans toutes sortes de problèmes tant domestiques qu’à l’étranger, les responsables à Ankara ont fait de la résolution du Sénat leur toute première priorité. Pendant quelques jours, le Premier ministre Erdogan a mis de côté ses actions despotiques contre Facebook, YouTube et Twitter visant à cacher le blanchiment d’argent et les stratégies de corruption que lui et plusieurs de ses ministres effectuent à des niveaux atteignant des millions de dollars. Il a également ignoré les révélations des conversations enregistrées en secret, lors desquelles le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu et d’autres responsables de haut rang complotaient pour orchestrer des attaques en Turquie à partir de l’autre côté de la frontière ; elles auraient alors servi de prétexte pour attaquer la Syrie et soutenir les terroristes djihadistes qui combattent sans succès le régime d’Assad. 
 
La diatribe turque contre le vote du Sénat incluait également un avertissement de Davutoglu indiquant que « la Turquie ne resterait pas silencieuse » si la résolution sur le génocide arménien passait de la Commission à l’ensemble du Sénat. Le ministère des Affaires étrangères a réagi encore plus durement, accusant la Commission « d’outrepasser son autorité et sa responsabilité. » Davutoglu s’est empressé de téléphoner au Secrétaire d’État, John Kerry, l’exhortant à empêcher l’adoption de la résolution. 
 
Cemil Cicek, le président du Parlement s’en est aussi mêlé, qualifiant la question arménienne de « boulet » dans les relations américano-turques. Un commentateur du journal largement diffusé Hurriyet a fait remarquer que la résolution sur le génocide allait faire monter la tension artérielle à Ankara ! L’ex-ambassadeur turc Omer Engin Lutem est intervenu en reconnaissant que la Turquie « est obligée de déployer de grands moyens afin d’empêcher le passage de ce genre de résolutions », sans parler des millions de dollars dépensés chaque année pour payer les entreprises de lobbying ! 
 
Les journaux pro-Erdogan ont même été jusqu’à publier des mensonges sur la résolution sur le génocide, en affirmant que la mesure n’est plus valable, car elle n’a pas été adoptée par l’ensemble du Sénat avant le 24 avril ou encore que la résolution était dénuée de sens, car le président de la Chambre, John Boehner, avait annoncé à Ankara qu’il ne permettrait pas que la version de la Chambre soit adoptée. Bien sûr, ces deux affirmations sont fausses, car les versions de la Chambre et du Sénat ne font pas partie d’une résolution conjointe et peuvent être adoptées séparément par une Chambre ou l’autre, plus tard dans l’année. 
 
Les électeurs arméno-américains devraient faire tout leur possible pour empêcher la réélection du député Boehner en novembre. De même, la communauté arménienne devrait s’opposer aux sénateurs qui ont honteusement voté contre la résolution, même après que le sénateur Menendez a supprimé plusieurs clauses pour satisfaire ses opposants. Les cinq sénateurs républicains ayant vote contre sont : John Barrasso (WY), Bob Corker (TN), Jeff Flake (AZ), Ron Johnson (WI) et James Risch (ID). D’un autre côté, les Arméno-Américains devraient soutenir fortement les douze sénateurs ayant voté en faveur de la résolution sur le génocide arménien : le président Robert Menendez (D-NJ), Barbara Boxer (D-CA), Benjamin Cardin (D-MD), Christopher Coons (D-DE), Richard Durbin (D-IL), Tim Kaine (D-VA), Edward Markey (D-MA), John McCain (R-AZ), Chris Murphy (D-CT), Marco Rubio (R-FL), Jeanne Shaheen (D-NH) et Tom Udall (D-NM). 
 
L’une des conséquences inattendues de la résolution a été l’intensification du désaccord entre deux forces redoutables en Turquie – le Premier ministre Erdogan et le religieux islamique influent, Fethullah Gulen. Erdogan a accusé les partisans de Gulen de se ranger du côté du « lobby arménien » en contribuant à hauteur de presque 10°000 dollars à la campagne du sénateur Menendez. L’Alliance américaine turcique (TAA) a réfuté les accusations d’Erdogan, déclarant que le groupe avait « toujours exprimé son insatisfaction envers Menendez à propos des résolutions qui froissent les Turcs et les Azerbaidjanais. » Les responsables de la TAA ont promis de poursuivre en justice les journalistes turcs ayant affirmé que leur organisation soutenait la résolution arménienne. 
 
Une dernière réflexion : contrairement à l’impression répandue, soumettre des résolutions sur le génocide arménien n’a pas comme principal objectif de parvenir à la reconnaissance du génocide, celle-ci ayant déjà eu lieu plusieurs fois : le rapport officiel du gouvernement américain à la Cour mondiale en 1951, la proclamation du président Reagan en 1981 et les résolutions de la Chambre en 1975 et 1984. Ces résolutions sont en fait des outils pratiques permettant que la question du génocide arménien reste d’actualité, et d’attirer l’attention des médias sur la cause arménienne. En outre, ces résolutions déclenchent régulièrement une panique totale à Ankara, en raison de la réaction hystérique des responsables turcs. Le gouvernement turc gaspille également des dizaines de millions de dollars chaque année pour contrer les résolutions qui expriment simplement le « sentiment du Congrès ». 
 
Les efforts des Arméniens pour que ces résolutions soient adoptées sont une forme de représailles contre les gouvernements turcs successifs qui n’arrivent pas à affronter les squelettes dans leurs placards. 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
Éditorial du 24 avril 2014 
 
©Traduction de l’anglais C.Gardon pour le Collectif VAN – 24 avril 2014 – www.collectifvan.org
 
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