Harut Sassounian. Les Arméniens devraient construire un Mur de la Honte pour ceux qui se rendent à Gallipoli le 24 avril


Harut Sassounian. Les Arméniens devraient construire un Mur de la Honte pour ceux qui se rendent à Gallipoli le 24 avril

  • 10-04-2015 12:13:20   | USA  |  Articles et analyses

Si les Arméniens critiquent la Turquie pour son négationnisme du génocide des Arméniens et autres violations massives des droits de l’homme, il est tout aussi important d’accuser tous les non-Turcs qui font des affaires comme si de rien n’était avec la Turquie, encourageant ainsi les responsables turcs à continuer à se comporter de manière scandaleuse. 
 
Par exemple, en ce moment-même, les dirigeants de nombreux pays se préparent sans aucune honte à se rendre à Gallipoli le 24 avril, pour la célébration de la victoire turque d’il y a un siècle, en sachant pertinemment qu’ils vont participer à une cérémonie se tenant à une date erronée, choisie pour saper la commémoration à Erevan du centenaire du génocide des Arméniens. 
 
Les Arméniens devraient construire un « Mur de la Honte » et y inscrire les noms de tous les chefs d’État qui vont à Gallipoli le 24 avril ! Mais qui est à blâmer le plus ? Le président Erdogan qui a montré à maintes reprises qu’il n’a aucun scrupule à violer les droits de l’homme, ou les responsables étrangers qui participent à sa mascarade orchestrée ? 
 
D’aucuns pourraient penser que suite aux actes répréhensibles d’Erdogan, tels que soutenir le groupe État islamique, le blanchiment d’argent, l’emprisonnement de journalistes, l’ordre de tirer sur une foule de manifestants pacifiques au Parc Gezi d’Istanbul, et une multitude d’autres abus, il serait considéré comme un paria et rejeté par la communauté internationale ! 
 
Malheureusement, il existe de nombreux chef d’État étrangers qui entretiennent de bonnes relations avec la Turquie et qui sont désireux de faire un pacte avec le diable au nom de ce qu’ils pensent être leurs intérêts. Si bien des nations ont leur part de responsabilité, le comportement des dirigeants israéliens avec la Turquie est le plus intrigant, compte tenu des déclarations antisémites virulentes d’Erdogan et de ses actes anti-israéliens ! Et pourtant, nous n’entendons presque jamais une critique des dirigeants turcs de la part du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui ne mâche pourtant pas ses mots. Personne ne devrait donc être surpris si Netanyahu finit par envoyer des responsables israéliens de haut rang à Gallipoli ! 
 
Pendant des décennies, les dirigeants israéliens ont toléré des déclarations racistes dans les médias turcs, et ils ont même soutenu le négationnisme turc du génocide des Arméniens, ne souhaitant pas s’aliéner la Turquie et mettre en danger la vie des citoyens juifs d’Istanbul. On nous a dit qu’Israël devait tolérer la mauvaise conduite de la Turquie, car elle avait permis à des juifs fuyant l’Iran de passer sa frontière et que sauver la vie d’un seul juif était plus important que de reconnaître le génocide des Arméniens. Il y a encore dix ans, les dirigeants israéliens prenaient garde de ne pas prendre de mesures qui auraient pu nuire à l’alliance stratégique entre leur pays et la Turquie. Mais, alors que la Turquie est désormais devenue franchement hostile, les responsables israéliens ont adopté une position totalement irrationnelle : ne faisons rien qui puisse endommager davantage la relation « fragile » avec la Turquie ! 
 
Le mois dernier, le L.A. Jewish Journal a envoyé Simone Wilson en Turquie pour qu’elle rende compte de la situation des juifs dans le pays. Elle a décrit la condition sans espoir de ce qui reste de la communauté juive : « Les juifs et les autres minorités religieuses ou ethniques ont fait l’objet de graves mesures de discrimination, en termes de droit de la propriété, de liberté de langue et d’expression, d’ascension sociale et plus encore. » La population juive a diminué, passant de 500°000 à 17 °000 personnes et la baisse se poursuit. En 2003, de nombreux juifs ont compris qu’ils ne pouvaient plus rester en Turquie, après les attaques terroristes survenues dans les synagogues Neve Shalom et Bet Israel d’Istanbul, qui ont fait 27 morts et de nombreux blessés. « L’antisémitisme omniprésent dans la sphère publique a également joué un rôle indéniable » dans l’émigration juive, d’après Wilson. Selon un sondage commandé par la Ligue Anti-Diffamation (ADL) « environ 70% des Turcs adoptent des attitudes antisémites. » 
 
En Turquie, la situation de la minorité juive est de plus en plus intolérable. En septembre dernier, « un magasin de téléphonie mobile situé dans le centre d’Istanbul a accroché une pancarte indiquant : ‘les chiens juifs ne peuvent pas entrer ici’, a rapporté Wilson. Mois Gabay, éditeur du journal juif local Salom, a écrit: « Chaque jour, nous sommes confrontés à des menaces, des attaques et du harcèlement. » En juillet dernier, Erdogan a exprimé sa haine franche des juifs en disant aux Turcs lors d’une de ses étapes de campagne : « Ils [les juifs] maudissent Hitler jour et nuit, mais ils ont surpassé Hitler dans la barbarie. » Le maire d’Ankara, Melih Gokcek, membre du parti au pouvoir d’Erdogan, a félicité un chanteur turc qui avait déclaré : « Que Dieu bénisse Hitler ». Lors d’une Journée de commémoration de l’Holocauste à Ankara le 27 janvier, le président du Parlement, Cemil Cicek, a reproché à Israël de commettre un holocauste moderne à Gaza. 
 
Le silence d’Israël, des États-Unis et de la communauté internationale face à un comportement turc aussi scandaleux, a engendré un monstre hors de contrôle. Tous ceux qui ont choyé Erdogan se doivent de le contenir avant qu’il ne devienne une réelle menace pour la région et le monde. 
 
 
Harut Sassounian 
The California Courier 
 
 
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